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VOHOU-VOHOU : l’Art du n'importe quoi !



Lorsque nous nous attelons à analyser un mouvement artistique, nous sommes généralement confrontés à un profond bouleversement qui remet en cause un ordre établi : la genèse du Vohou-Vohou se doit d’être abordée d’une

Youssouf Bath, La Porteuse, Technique mixte sur toile, 2011.
Youssouf Bath, La Porteuse, Technique mixte sur toile, 2011.

manière plus nuancée. À partir des années 1970, l’école nationale des Beaux-Arts d’Abidjan s’assèche, se délite et s’étiole. En l’occurrence, ses finances tarissent de jour en jour, empêchant ainsi de jeunes artistes de développer leur talent. Face à la difficulté d’apprendre, une dizaine d’étudiants s’ingénièrent à se former aux arts plastiques. Arpentant alors les rues d’Abidjan, ils exhumèrent de terre toute la matière dont ils avaient besoin (1). Ces objets de récupération permettront ensuite une remise en question de l’enseignement occidental pour créer une vision, une façon, qui leur est propre.



Bien au-delà d’un mouvement artistique, le Vohou-Vohou est tout d’abord un état d’esprit (2) dont le nom provient d’une invective en langue gouro, en l’occurrence « n’importe quoi » en français. Il fut alors utilisé par certains étudiants académiques pour qualifier l’art du groupe de dissidents. Quant à eux, ils s’en glorifièrent et s’éloignèrent naturellement de l’académisme au profit de la quête vers une authenticité extrême (3). Ne conservant que la structure du châssis, le lin de la toile devient de la jute tandis que les couleurs industrielles se voient remplacées par des colorants naturels. L’usage du sable et des cauris se généralise et la technique du collage se popularise.


Youssouf Bath, Composition, Technique mixte sur toile, 121 x 147 cm, 1975. @Auction.fr

S’aventurer à décrire ces factures artistiques, ces images quasiment abstraites, serait un exercice périlleux tant le cheminement de chaque membre demeure individuel. Mais à travers l’esthétique négro-africaine commune, nous pouvons sans conteste affirmer qu’ils s’inspirent généralement de la tradition des Komians, les féticheurs de la culture Akan, qui sont dotés de pouvoirs mystiques (4). Tant et si bien que les deux figures de proue du Vohou-Vohou, Youssouf Bath et Mathilde Moreau, deviennent respectivement le Sorcier et la Prêtresse Vohou. Après son départ du collectif, cette dernière va connaître un succès retentissant sans pour autant renier son apprentissage auprès des anciens étudiants des Beaux-Arts d’Abidjan. Elle va notamment continuer à utiliser le tapa (5) pour réaliser ses toiles et travaillera durant toute sa carrière autour du thème de l’organisation sociale des termitières qui fait donc écho à sa foi africaine : « Si la termitière vit, qu’elle ajoute de la terre à la terre » (6).



Théodore Koudougnon, Empreinte africaine 8, Technique mixte sur toile, 109 × 90 cm.

Théodore Koudougnon, Sans titre, Technique mixte sur toile, 60 × 58 cm.

Kra N’GUESSAN, Courrier à Yahvé, Technique mixte sur bois, 100 x 50 cm, 2016.



Quant au Vohou-Vohou, c’est en 1985 qu’il se voit officiellement reconnu dans le monde l’art par le biais d’une exposition organisée au Centre culturel français d’Abidjan. Mais il faut bien préciser qu’il s’était d’ores et déjà répandu dans tous les ateliers de l’école nationale des Beaux-Arts et formalisé en France, au sein de l’atelier de le peintre Jacques Yankel (7). A partir de ce moment-là, le Vohou-Vohou connut une forte notoriété internationale, allant même jusqu’à être inscrit au programme de l’enseignement de l’école des Beaux-Arts d’Abidjan : une belle revanche pour cet art que l’on qualifiait auparavant de n’importe quoi.



 

Bibliographie :

- Sékou Dosso, L'esthétique du mouvement Vohou-Vohou : Une expression des arts plastiques en Côte d'Ivoire, l'Harmattan, France, 2019.

- Touré K., Sicard M. (dir.), Vohou-Vohou, reflet de l'art ivoirien du XXème siècle, ANRT, France, 2007.


Sources :

- O. Keefer, Vohou-Vohou: A Search for Post-Colonial Cultural Identity in Cote d’Ivoire, Université d'Oxford, Miami, 2017.


 

(1) Vohou-vohou, quand l'art du "n'importe quoi" dépeint les déceptions de l'immigration clandestine : https://www.france24.com/fr/20180816-afrique-cote-ivoire-kra-bath-vohou-vohou-culture-immigration-aquarius

(2) D. Yessou, Le Vohou-vohou ou l’art du « n’importe quoi, 2018 : http://www.100pour100culture.com/art-contemporain/vohou-vohou-lart-nimporte-quoi/

(3) Salif D. CHEICKNA, Art contemporain/Vohou-Vohou : Des œuvres d'artistes ivoiriens patrimoine du Mali ! : https://www.fratmat.info/article/92298/Focus/art-contemporainvohou-vohou-des-uvres-dartistes-ivoiriens-patrimoine-du-mali-

(4) Côte d'Ivoire/Tradition: Les Komians, incontournables prêtresses Akan : https://www.djasso.com/cote-d-ivoire-tradition-les-komians-incontournables-pretresses-akan-a15861173101.html (5) Définition : Le tapa est un tissu d'écorce, une étoffe végétale obtenue par la technique de l'écorce battue.

(7) Salif D. CHEICKNA, Art contemporain/Vohou-Vohou : Des œuvres d'artistes ivoiriens patrimoine du Mali ! : https://www.fratmat.info/article/92298/Focus/art-contemporainvohou-vohou-des-uvres-dartistes-ivoiriens-patrimoine-du-mali-



 

Article rédigé par

Rama Barry

Historienne de l'art

© Oshūn Art

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